img
-

Promenade dans le Paris d’Offenbach

Article de Charlotte Landru-Chandès (CLASSICA / Décembre 2018-Janvier 2019)

 

 Il était Allemand mais c’est à Paris qu’a éclos son talent. Joué partout, adulé par le public, brûlant d’énergie, Jacques Offenbach incarne la vie parisienne de son temps. Entre théâtres, restaurants et boulevards, voici donc un aperçu du Paris qu’il a connu, en compagnie de Nicolas d’Estienne d’Orves.

 

Écrivain et journaliste, Nicolas d’Estienne d’Orves a signé Jacques Offenbach chez Actes Sud en 2010, et un Dictionnaire amoureux de Paris en 2015 chez Plon.

 

Lunettes sur le nez, carnet en main, chahuté par la course du fiacre, Offenbach compose. Il circule entre ses théâtres, coincé dans les embouteillages d’un Paris en travaux. « C’était une espèce de Zébulon, de Speedy Gonzales qui courait dans tous les sens ! Il devait se faufiler pour arriver à l’heure à tel spectacle, pour aller dîner là, pour ensuite boire un café avec Morny. Il était sans cesse en mouvement. Et à la fin il l’a payé : il est mort vidé de sa substance. Il a tout mis dans son travail, dans cette vie frénétique. » À l’image du quotidien de notre musicien, la ville, dans les années 1850-60, bouillonne et se transforme. Haussmann lui sculpte un nouveau visage et Belgrand l’éventre pour installer un réseau d’égouts. La capitale resplendit, propre et aérée. On danse et on chante au rythme enjoué des boulevards. Le Paris du Second Empire est un monde d’apparences. Quand on sort, on se montre. Offenbach va en jouer dans ses oeuvres et ainsi tendre un miroir au public.

Les Bouffes-Parisiens, premiers succès

1855, Carré Marigny, la carrière d’Offenbach décolle. Il est alors directeur musical de la Comédie-Française et crée de petites oeuvres, sans grand succès. « Il comprend qu’il lui faut son propre théâtre, qu’il soit son propre patron. » Le trépignant musicien rachète la salle Lacaze, « charmant petit théâtre de magiciens » situé au rond-point des Champs-Élysées, face au Palais de l’Industrie. L’Exposition universelle approche. « Il se dit : “si j’arrive à monter ce théâtre à temps – car le monde entier venait à Paris – ça va être le pactole !” Les travaux coûtent une fortune, mais les places sont vendues à prix d’or. C’est la rhétorique du luxe : sachant que ça va être cher, les gens vont penser que c’est bien. » C’est donc un théâtre raffiné que les touristes découvrent au beau milieu des stands forains et des spectacles de Guignol. Offenbach propose des saynètes de quinze minutes. « Des pastorales avec deux trois personnages, par exemple. Et à la fin, cette mini-opérette, Les Deux Aveugles : il met en scène deux faux aveugles qui discutent sur un pont en se demandant comment berner les passants. Le public adore ! C’est soudain la découverte du second degré dans la musique. Et ça marche ! » Et c’est aux Bouffes qu’il rencontre Hortense Schneider, célèbre cantatrice qui devient sa muse.   

La ronde des théâtres

L’automne arrive, les Bouffes ont les pieds dans la boue et la salle n’est pas chauffée ! Peu attrayant pour le public… Mais Offenbach est plein de ressources. Si les spectateurs ne viennent plus dans son théâtre, le théâtre viendra à eux. Direction le 2e arrondissement, au croisement de la rue Monsigny et du passage Choiseul. Il installe les Bouffes à la place d’un théâtre d’illusionnisme. La salle reste associée à son nom, même s’il la cède en 1862. Il étend son empire sur le quartier. Boulevard Montmartre par exemple, avec le Théâtre des Variétés, dont Zola brosse un portrait acerbe dans Nana. C’est là que naissent ses plus grandes oeuvres : La Belle Hélène, La Périchole… Prince des boulevards, Offenbach est partout. « Parfois ses oeuvres sont créées à une semaine d’intervalle ! Et le soir, il est programmé à plusieurs endroits, et pas seulement dans les théâtres qu’il dirige. » Mais le théâtre dont il rêve, c’est l’Opéra-Comique. Il y débute comme violoncelliste vers 1834. Il y revient chargé de partitions, mais cumule les échecs (Barkouf, Fantasio…). Pour le public, il pastiche, il est un amuseur. Dès que la pièce est plus sérieuse, on n’y croit pas. Triste ironie, Les Contes d’Hoffmann triomphent à l’Opéra-Comique en février 1881, quatre mois après sa mort. Il s’éteindra à quelques pas de là, chez lui, 8 boulevard des Capucines.

Star des salons, passage Saulnier

Il a aussi forgé sa réputation dans le quartier de l’Opéra. Il fréquente les salons, comme celui de Mme Bertin de Vaux. « Il caressait son violoncelle pendant une heure pour ravir les amphitryons et leurs invités. Après il causait. C’était un homme de réseau, un génie de la pub avant l’heure. » Une demoiselle est conquise, Herminie d’Alcain, qu’il épouse en 1844. Pour elle, il renonce au judaïsme et se fait catholique. Les mariés emménagent passage Saulnier. L’appartement est assez grand pour recevoir : bientôt, « les Vendredis de Jacques » sont prisés par le Tout-Paris. « Les cartons d’invitation sont humoristiques, il faut donner envie ! » Au programme, musique, lectures, et des invités savamment choisis. « Nadar est toujours fourré chez lui. Il a des amis de tous horizons, journalistes, écrivains et toute sa bande de librettistes. De joyeux lurons qui ont parfois des métiers austères comme Halévy, mais qui se lâchent le soir. » À Paris, les réputations se font dans les salons. « C’est de là que vient le buzz. Certes il y a la presse, mais ça prend plus de temps. » La tradition des « Vendredis » se poursuit au 11 rue Laffitte, après son déménagement à proximité de la rédaction du Figaro. Villemessant, son patron, compte parmi ses proches…

Un boulevard branché où déjeuner

Souvent, Offenbach déjeune dehors. Les restaurants qu’il bichonne sont tous à deux pas de chez lui, le long du boulevard des Italiens. Peter’s, passage des Princes, le café Bignon à l’angle de la Chaussée-d’Antin, la Maison-Dorée, rue Laffitte… Mais sa préférence va au Café Riche, rue Le Peletier. Pour ses déjeuners professionnels, un cabinet particulier lui est réservé. Et s’il préfère rester chez lui, on lui monte son déjeuner. Il commande toujours les mêmes mets. « Trois cuillerées d’un oeuf à la coque avec une demi-mouillette, une noix de côtelette d’agneau, une bouchée de pommes de terre et un quartier de fruit », raconte son biographe Jean-Claude Yon. Un repas rapide pour être à l’heure à ses multiples répétitions.

Flash-back rue des Martyrs

C’est plus au nord, au coeur du 9e, qu’il arrive à Paris avec son père et son frère en 1833. Grâce à la communauté juive, la famille s’installe au 23 rue des Martyrs. En pleine Monarchie de Juillet, Paris arbore un visage bien différent de celui du Second Empire. Ses rues sont sales, étroites et ses immeubles insalubres. « Mais s’il y a un endroit qui est la Mecque artistique de l’époque, c’est Paris. C’est là que tout se passe, que se font ou se défont les carrières. Et à 14 ans, Offenbach est déjà très doué. » Le jeune homme frappe à la porte du Conservatoire, rue du Faubourg-Poissonnière. Cherubini le reçoit mais se montre catégorique. Pas de place pour les étrangers – alors que lui-même est Florentin ! « Il va faire une exception pour Offenbach en l’entendant jouer du violoncelle dans son petit bureau. » La scène est connue. Après quelques notes, le vieux directeur s’exclame : « vous êtes élève du Conservatoire ! » Mais le trublion Jacques n’y étudie pas longtemps, il s’ennuie et un an plus tard, quitte l’établissement.

La vie parisienne, du Palais-Royal aux Tuileries

En 1866, la deuxième Exposition universelle se profile et il reçoit une commande du directeur du Théâtre du Palais-Royal : mettre en scène la vie parisienne. Offenbach connaît déjà les lieux – en 1839, il compose la musique de Pascal et Chambord, qui laisse peu de traces. Les comédiens ne sont pas des chanteurs professionnels, mais il parvient à donner l’un des premiers rôles à la brillante Zulma Bouffar. « Là, les Parisiens se voient sur scène. On se fiche d’eux et ils adorent ça. On est dans la parodie pure. Ça se passe dans des lieux qui existent à l’époque : la Gare, le Grand Hôtel qui est en fait l’hôtel Intercontinental, on parle du bazar de Bonne-Nouvelle, du faubourg Saint-Germain… » Et bien sûr, on retrouve « les baronnes déclassées, les immigrés allemands, les nouveaux riches brésiliens délirants qui viennent vider leur bourse pendant quelques mois. C’est la ville des plaisirs, espèce de tableau acide de la futilité d’une époque où tout ce qu’on veut est aimer, boire et chanter ». Et non loin du Palais-Royal, le symbole même du Second Empire : les Tuileries. L’Empereur l’apprécie et l’invite pour des concerts privés.

Le gigantisme du Théâtre de la Gaîté

1871. La guerre et la Commune ont meurtri Paris. Brûlée, ensanglantée, la capitale pleure ses morts. À son retour de l’étranger où il a fui, notre musicien change son fusil d’épaule. Le public veut s’évader et du spectaculaire. En plein 3e arrondissement, non loin de la synagogue de la rue Notre-Dame de Nazareth où il jouait de la musique à son arrivée à Paris, il s’approprie le Théâtre de la Gaîté en 1873. La salle est immense et offre près de 1 800 places. « Elle avait la taille du Châtelet, avec une machinerie extraordinaire. Offenbach se ruine en la rachetant. En tant que directeur, il ne peut créer de nouvelles oeuvres de son cru. Il monte donc des versions démesurées de ses anciens succès, comme Orphée par exemple. Une espèce “d’opéra-féérie” qui demandait environ 300 personnes : orchestre, danseurs, choeurs, régie. » Une aventure qui l’endette jusqu’à la fin de ses jours…

Dernière demeure

Offenbach ne quittera jamais la rive droite. Il meurt le 5 octobre 1880, épuisé. À la Madeleine, on lui offre un enterrement en grande pompe. « Des pages des Contes d’Hoffmann sont transformées en musique religieuse pour l’occasion ». Il est inhumé au cimetière Montmartre, avenue des Anglais. Sa tombe, discrète, est ornée d’un buste au visage farceur. Dernier clin d’oeil, en plein coeur du 16e arrondissement, loin de l’effervescence parisienne et à deux pas de l’avenue Mozart, une rue porte son nom, qu’Offenbach n’a jamais fréquentée…

PHOTOS : STÉPHANIE LACOMBE POUR CLASSICA

 

Commandez un exemplaire du CLASSICA de Décembre 2018-Janvier 2019 en ligne ici

Réservez vos billets de spectacles d’Offenbach dans le monde entier